Soignants de l'épidémie d'Ébola à Monrovia, au LIbéria
Il en est de même des taux de mortalité. Loin de s'atténuer, comme lors des précédentes épidémies d'Ébola, ils paraissent s'accroitre. Les statistiques venant des pays actuellement touchés minorent sans doute d'ailleurs la réalité, tant en ce qui concerne les cas, que les décès, compte tenu de la difficulté d'identifier ce qui se passe en brousse, comme dans les bidonvilles des mégapoles africaines, où le virus se répand actuellement.
La communauté internationale, selon l'expression classique, n'a manifestement pas pris conscience de l'ampleur et des taux de progression de l'épidémie. Cela tient à diverses raisons : la croyance (fausse) que le virus resterait confiné dans les pays pauvres, des croyances également fausses concernant la contagiosité, laquelle paraît plus grande qu'il n'est dit généralement, enfin d'autres illusions sur les capacités des institutions sanitaires à réagir rapidement.
Il apparaît ainsi de plus en plus évident que les autorités politiques et de santé ne sont pas suffisamment informées et averties pour prévoir les grands changements systémiques que l'humanité devra dorénavant affronter. Ces changements découleront de phénomènes désormais irréversibles comme le réchauffement climatique et la destruction des écosystèmes. Il serait ainsi tout à fait probable que si une grande majorité d'espèces vivantes complexes disparaissaient dans le siècle ou le demi-siècle, des espèces moins complexes mais tout à fait bien organisées pour faire face prendraient le relais. Ce serait le cas des virus et microbes. Ou bien ceux déjà existants muteraient pour profiter des nouveaux espaces à eux ouverts, ou bien de nouvelles espèces mieux organisées émergeraient, la nature ayant horreur du vide. Il faudra aussi tenir compte du fait que si les sociétés humaines s'appauvrissaient à l'occasion de ces changements, les taux de natalité pourraient continuer à croître à court terme, aggravant les problèmes rencontrés par les adultes survivants.
Plus immédiatement, les observateurs considèrent qu'Ébola est le fruit de la croissance, cette croissance qui est devenue incontrôlable. De la forêt où le virus restait confiné chez certaines chauves-souris ou primates, il s'étendra dorénavant sans limites perceptibles à l'ensemble des continents, du fait de la densité des transports aériens et de la multiplication des mégapoles, où devraient résider prochainement, selon les prévisions, au moins les trois quarts des humains. La Chine et l'Inde, à cet égard, ont des soucis à se faire.
Nous ne pouvons prétendre traiter d'aussi graves problèmes dans un simple article tel que celui-ci. Abordons cependant quelques points à l'ordre du jour, pour compléter ce qui avait été indiqué dans nos articles précédents [Cf. Pour approfondir plus bas, après l'article].
La contagiosité d'Ébola
Sans évidemment être virologue ou épidémiologue, mais en faisant appel au simple bon sens, nous ne comprenons pas comment les pays destinataires des vols en provenance de l'Afrique, comme plus généralement les pays recevant des voyageurs provenant de zones infectées, peuvent se rassurer en affirmant que la détection des températures (à condition d'ailleurs qu'elle soit bien faite) suffirait à identifier les malades contagieux. Il est dit que la contagiosité ne se produirait pas avant les premiers symptômes, dont celui de la fièvre. À supposer que cela soit vrai et le demeure, comme l'on sait que ces symptômes, notamment la fièvre, n'apparaissent que quelques jours après la contamination, le risque est grand de voir des voyageurs déjà contaminés, mais non encore symptomatiques, pénétrer sur le territoire, sans être détectés par les filtres aux frontières.
Si, ensuite, ces personnes, ou des personnes avec lesquelles elles auront été en contact, manifestent des symptômes identifiés comme ceux d'Ébola, elles auront eu le temps, avant d'être isolées, de contaminer des dizaines d'autres contacts. On ne pourra pas en effet considérer que les millions de personnes atteintes de grippes ou d'entérites, fréquentes en cette saison, devraient passer des tests ou être isolées. Lorsque le virus sera installé, même faiblement, dans les pays jusqu'alors indemnes, le prédiagnostic, consistant à demander si le sujet provient d'un pays africain contaminé, ne sera plus applicable. Faudra-t-il alors faire passer des tests approfondis à tous les grippés, afin de séparer les faux-positifs des positifs ? Le système de santé sera vite débordé, non seulement par le nombre des malades déclarés, mais par la nécessité de multiplier, par milliers ou millions, les examens, qui se révéleraient ensuite inutiles.
Un autre problème est désormais à l'ordre du jour, concernant la prévention de la contagiosité, car elle suppose des équipements spéciaux coûteux, devant en principe être détruits rapidement après usage. Or ces équipements commencent à manquer dans les pays infectés. Il en sera rapidement de même dans les pays menacés d'infection. Qui paiera et, plus spécifiquement, qui lancera les actions de production et de distribution susceptibles de pallier ces ruptures de stocks
L'appel à l'armée
En cas d'urgence nationale, un gouvernement pourrait considérer qu'il doit faire appel à la police ou à l'armée pour mettre un semblant d'ordre dans une situation devenue incontrôlable. Mais ce serait courir le risque de contaminer rapidement les policiers ou militaires. De plus, aussi disciplinés et dévoués que soient ces personnels, il serait compréhensible que certains d'entre refusent d'obéir à des ordres dépassant évidemment ceux auxquels ils considéraient de leur devoir d'obéir.
Par ailleurs, comme beaucoup des États atteints, aujourd'hui en Afrique, verront très vite s'écrouler le peu qu'ils possédaient de structures institutionnelles, les pays riches devront-ils envoyer des troupes au secours de ces États en faillite. D'ores et déjà, Barack Obama, qui vient de décider l'envoi de quelques 5.000 hommes en Afrique de l'ouest, s'est fait (non sans de bonnes raisons selon nous) accuser de vouloir introduire dans ces pays la présence de l'Africa Command, dont les gouvernements avaient précédemment déclaré vouloir se passer. Même s'il s'agissait de troupes sous mandat de l'ONU, elles seraient nécessairement très mal accueillies, au vu des mesures de prophylaxie qu'elles seraient obligées d'imposer. Les Organisations non gouvernementales (ONG) occidentales ne le seront pas mieux. Ainsi l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), principale ONG américaine, est souvent, à juste titre, considérée comme un faux-nez de la CIA ou du Pentagone. Seule, Médecins sans frontières (MSF) semble échapper à ces critiques. Mais elle le paiera durement, du fait de la mortalité qui frappera nécessairement ses volontaires.
Vaccins et sérums
L'appel aux vaccins, destinés à prévenir la contagion, et aux sérums, destinés à soigner des malades déjà infectés, est présenté comme la solution la plus efficace pour bloquer la diffusion du virus. Mais, généralement, ceux qui en parlent dans les médias ne se rendent pas compte des difficultés qu'il faudra résoudre, ni des obstacles pratiques qu'il faudra surmonter, pour que de tels remèdes surviennent à temps. Une course de vitesse est désormais engagée entre les recherches médicales et la diffusion du virus. Rien ne dit que l'humanité pourra la gagner, malgré les ressources de la science.
Jusqu'à présent, le virus Ébola avait été considéré comme de diffusion locale, dans des pays, dont l'état sanitaire ne mobilisait pas les grands industriels de la recherche médico-pharmaceutique (les big Pharma, selon le jargon). Au début des années 2000, à l'instigation du Département américain de la Défense, quelques recherches avaient été mollement menées, étudiant les risques de bio-terrorisme. Mais rien de grande ampleur n'en était sorti. À ce jour, dans la suite de ces recherches, deux vaccins ont été annoncés, qui comportent un ajout de protéines d'Ébola dans un virus inoffensif.
L'un de ces vaccins est le fait d'une petite entreprise américaine nommée Newlink Genetics, et l'autre du géant britanniqueGlaxosmithkline (GSK). Ils semblent agir chez des macaques, mais n'ont pas encore été testés chez des humains.
Or, des tests, en principe impérativement requis dans des situations normales, paraissent en ce cas impraticables. Selon les informations données par les experts, il faudrait administrer le sérum à au moins 5 000 personnes avant de les placer dans des situations à risque. Il a été dit que les travailleurs médicaux travaillant déjà sur le terrain pourraient accepter de courir ce risque, mais cela parait improbable. Pour bien faire, ils devraient en effet accepter de ne pas se protéger. De toute façon, le temps nécessaire à ces tests sera beaucoup trop long pour que des enseignements utiles puissent en être tirés.
Certains spécialistes persistent à penser que le protocole des tests ne doit en aucun cas être allégé ou supprimé. Mais d'autres considèrent aujourd'hui que le taux de mortalité est si important qu'il faudrait sans attendre vacciner le plus grand nombre possible de personnes, soit à partir des vaccins cités ci-dessus, soit à partir d'autres souches qui seront par ailleurs présentées (La Russie vient d'annoncer pouvoir disposer de 3 vaccins expérimentaux d'ici six mois). Et cela sans se préoccuper des risques, qui ne seront d'ailleurs pas plus élevés que ceux découlant du parti pris de ne rien faire.
L'organisation mondiale de la Santé vient de se réunir en urgence le 5 septembre à Genève. Il y a été dit que pour bloquer l'épidémie, face au million de cas prévu à la fin de l'année, il faudrait plusieurs milliers de doses de vaccins (non testés) à cette date avant de commencer à agir. En fait, il en faudrait plusieurs millions, et davantage encore si l'on voulait vacciner des populations non encore en risque immédiat.
Or, il ne suffit pas de décider d'une telle politique pour qu'elle devienne immédiatement applicable, et cela dans les délais de quelques semaines qui seraient nécessaires. Les grosses firmes pharmaceutiques, même abondamment subventionnées, ne pourraient pas fabriquer en temps utile les doses nécessaires. Si elles le pouvaient, manquerait alors le personnel de santé, ou les civils formés à cette fin, nécessaires aux opérations de vaccination sur le terrain. Et que se passerait-il, si les vaccins utilisés, comme certains anti-rétroviraux auxquels on pense par ailleurs, se révélaient finalement sans action. Et que se passerait-il si le virus mutait dans l'intervalle, en acquérant davantage de virulence, au lieu d'en perdre comme il avait semblé le faire lors des épidémies précédentes.
Alors ne survivrait qu'une petite moitié de l'humanité, faite d'individu semblables à ceux qui, pour des raisons encore inconnues, survivent d'ores et déjà à l'infection. On voit que les économistes, qui, pour le moment, ne s'inquiètent que des pertes commerciales en provenance d'États africains de plus en plus paralysés par l'Ébola, sont loin du compte.