Alors que le pouvoir menace d'évacuer par la force leurs sit-in dès dimanche, les islamistes se barricadent.
Le camion tangue sous les pieds d'une dizaine d'excités. Sur la plate-forme, des enceintes hurlent de l'électro chaabi à la gloire de Mohamed Morsi, le président déchu. Des centaines de personnes dansent autour, plus ou moins furieusement. La soirée commence au sit-in de Rabaa, principal lieu de rassemblement des Frères musulmans au Caire. Le chanteur scande : "Sissi, traître, on ne veut pas de toi", en référence au général égyptien, nouvel homme fort du pays, qui a annoncé l'éviction de l'ancien chef de l'État début juillet.
Jeudi, le Premier ministre par intérim a répété que la police allait intervenir pour disperser les rassemblements des Frères musulmans au Caire. "Nous approchons du moment que nous préférerions éviter", a-t-il prévenu. Ce moment pourrait être aujourd'hui, avec la fin de l'Aïd el-Fitr et du mois de ramadan.
La fête de l'Aïd a été un succès pour le rassemblement islamiste. Un mini-parc d'attractions - château gonflable, piscine - a été aménagé. Gehad El-Haddad, l'un des porte-parole des Frères, s'enthousiasme : "De plus en plus de gens changent d'avis et nous rejoignent. Ils se rendent compte de la propagande dont on est victimes. On est ici pour longtemps. À vrai dire, on n'a pas tellement d'autre choix." Veut-il le retour de Morsi? "Le président élu est la solution à cette crise. Mais nous voulons avant tout la restauration de la légitimité constitutionnelle", poursuit-il. Ce que réclame surtout la confrérie, c'est la libération de ses prisonniers, le rétablissement de la Constitution et le retour de l'armée dans les casernes. "À partir de là, tout est négociable, assène le porte-parole. Un référendum, des élections législatives anticipées, la révision de la Constitution."
Une dizaine de leaders arrêtés
Il se veut confiant. Le but, pour lui, est de continuer jusqu'à atteindre une masse critique de sympathisants pour renverser la situation en leur faveur. De fait, des milliers de personnes se bousculent au festival frériste. Mais c'est un festival barricadé. Pour y parvenir, il faut franchir des murs de pavés, avec redoutes et passages en quinconce. Derrière, des militants, casqués et armés de bâtons, veillent.
Personne ici n'a oublié le 27 juillet, quand le rassemblement a été attaqué. Les capacités d'adaptation des Égyptiens s'allient aux aptitudes organisationnelles des Frères musulmans. Rien n'est laissé au hasard. Il y a l'eau, l'électricité, un service de ramassage d'ordures. Une antenne de télécommunications a été installée à côté d'un centre de presse, pour pallier toute éventuelle coupure de signaux.
Pour Stéphane Lacroix, professeur à Sciences-Po et spécialiste de l'islam politique, "les Frères ont les moyens de tenir. Leurs centaines de milliers de membres obéiront aux ordres de l'organisation. S'il faut rester dans la rue, ils y resteront". Mais difficile de savoir si le mouvement est affecté par la répression actuelle. "Le problème des Frères est qu'ils ne savent pas ce qui va leur tomber dessus. Ils connaissaient bien l'ancien appareil d'État mais pas le nouveau régime. Ils ont contre eux une campagne médiatique sans précédent", reprend Stéphane Lacroix. Une dizaine de leaders ont été arrêtés. Des avoirs gelés. Leur chaîne de télévision et leur journal fermés. Gehad El-Haddad balaie toute inquiétude : "Nous sommes dans notre zone de confort. On a toujours vécu sous des régimes répressifs. C'est sous pression qu'on bosse le mieux." Et de prendre l'exemple de Khairat El-Shater, stratège et financier du mouvement, qui donnait des ordres de sa cellule sous Moubarak. Aujourd'hui, de nombreux leaders, recherchés par les autorités, apparaissent en public à Rabaa. Mohamed Badie, le guide suprême de la confrérie, serait venu deux fois.
Cette guerre froide risque de se réchauffer avec la fin de l'Aïd. Mais Abdel-Rahman Daour, l'un des organisateurs du sit-in de Rabaa, ne voit pas le problème : "S'ils nous tombent dessus, ils mettent le doigt dans l'engrenage. On peut bloquer des dizaines de sites au Caire et en Égypte. Ça ne fera que nous renforcer." En attendant, le gouvernement semble vouloir avancer. La composition du comité de rédaction de la Constitution a été annoncée. Des projets industriels sont lancés. Le président par intérim a prévenu dans un discours : "Le train de l'avenir est parti. À ceux qui sont en retard de nous rattraper."
Source: http://www.lejdd.fr/International/Afrique/Actualite/Egypte-les-Freres-musulmans-prets-au-combat-623540