« L’eau est le regard de la Terre, son appareil à regarder le temps ». Gaston Bachelard
Larbi Bouguerra, La Corniche, Bizerte, décembre 2007
Les bassins versants du Tigre et de l’Euphrate se situent
au carrefour de trois continents. Leur importance géostratégique a
traversé les siècles.
Les vallées de ces deux fleuves forment la Mésopotamie (du grec mesos « milieu » et potamos
« fleuve »), elle-même corne du Croissant fertile. Elle constitue
aujourd’hui la majeure partie de l’Irak, riche en hydrocarbures.
Grâce à l’eau des deux fleuves, la Mésopotamie a vu la
naissance de l’agriculture et de l’irrigation et a permis aux
civilisations de Sumer, de Mari et de Babylone de fleurir.
Zone géostratégique majeure, elle a été le théâtre de
maints conflits et aurait vu, il y a 2 500 ans, la première guerre de
l’eau.
De nos jours, elle est l’un des cinq « points chauds » d’hydroconflits que sont les régions de la mer d’Aral, du Gange, du Jourdain, du Nil, du Tigre et de l’Euphrate.
C’est aussi une zone du monde où la croissance démographique est une des plus fortes.
Aujourd’hui, outre les jeux politiques troubles et
dramatiques que catalyse la maîtrise des puits de pétrole de la région,
les tensions sur les eaux abondantes, tumultueuses et capricieuses des
deux fleuves mythiques sont patentes entre la Turquie, l’Irak et la
Syrie. De façon moins évidente, les eaux de la région intéressent aussi
le Liban, l’Iran, Israël et même au-delà. Ces tensions autour de l’eau
sont, en fait, récentes car, pour l’essentiel, ces pays appartenaient à
l’empire ottoman avant qu’il ne soit dépecé par les puissances
occidentales par le traité de Lausanne de 1923.
Parfois, on a frôlé la guerre ouverte.
L’eau a été, en tout cas, considérée comme arme pour
faire plier l’adversaire. Pendant la guerre du Golfe, en 1991, les
Etats-Unis ont envisagé de bombarder des barrages sur le Tigre et
l’Euphrate, au nord de Bagdad. Ils ont discuté de la possibilité de
demander à la Turquie de réduire le débit de l’Euphrate, en amont de
l’Irak. Ils ont enfin pris pour cibles les installations d’adduction
d’eau de Bagdad lorsque Saddam Hussein eut détruit les unités de
dessalement d’eau au Koweït.
Un accord tripartite sur le partage des eaux entre la
Turquie, l’Irak et la Syrie semble hors de portée à l’heure actuelle
d’autant que les bouleversements et la confusion introduits par
l’invasion américaine de l’Irak fragilisent Bagdad et incitent l’Iran et
la Turquie à essayer de se positionner comme puissances régionales.
Surtout, la Turquie – château d’eau de la région - veut faire jouer la
carte de l’eau à l’image du jeu des Arabes bien pourvus en
hydrocarbures.
De fait, les usages de l’eau dans la région paraissent
peu compatibles avec un développement durable. La salinisation, les
pollutions et les changements climatiques ne feront qu’exacerber une
situation déjà critique.
De ce fait, des bouleversements sociaux et économiques
sont prévus par les spécialistes qui voient déjà dans le dépérissement
de l’écosystème unique du Chott El Arab, la zone des marais où se
rencontrent le Tigre et l’Euphrate en Irak, ainsi que dans l’effritement
de la civilisation millénaire « des Arabes des marais » - si bien
décrite par Wilfred Thesiger - des signes qui ne trompent pas.
Faut-il pour autant désespérer ?
Non.
Ici comme dans tout le Moyen–Orient, l’eau est, au premier chef, une question politique et éthique et les hostilités – avec leur terrible lot de souffrance humaine - ne sauraient être la clef de la solution.
La coopération, la négociation et la diplomatie sont bien plus efficaces et ont plus d’atouts !
Explorer ces problématiques géopolitiques, stratégiques,
environnementales et humaines autour de l’eau dans cette région capitale
du monde et leurs impacts sur la paix et la concorde entre les hommes
est le but que se donne ce modeste dossier.
Puisse le lecteur y trouver profit.
Auteur du dossier :
Larbi BOUGUERRA
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