Après une période de fausse accalmie, qui avait tout
du calme avant la tempête, la crise de l'euro se précipite pour entrer
dans un fatal paroxysme. Le terme de l'impasse dans laquelle la
monnaie unique s'est elle-même fourvoyée est connu et bien connu depuis
deux ans au moins, si ce n'est depuis l'acte de naissance de l'euro
avec la ratification du traité de Maastricht, il y a tout juste 20 ans.
Alors que nous fêtons à quelques jours près le 20ème anniversaire du
prophétique « Discours pour la France » prononcé le 5 mai 1992 par
Philippe Séguin à l'Assemblée nationale – et que j'invite chacun, une
fois encore, à lire et relire -, la situation ne manque pas de sel...
Emblème d'une union monétaire inachevée,
l'euro est en éternel sursis, la divergence des économies nationales à
partir de 2000 et l'irruption des crises financières depuis 2008 le
forçant à un bond fédéral impossible ou à la disparition, concertée ou
non.
Rappelons les termes concrets de cette
impasse : l'Allemagne n'accepte de mettre en commun sa monnaie forte et
les taux d'intérêt d'emprunts très bas qui lui sont attachés qu'en
échange de l'observance par les autres membres de l'euro de sa culture
économique et financière rigoureuse. En quelque sorte, il est demandé
aux autres peuples de devenir allemands sur ce terrain, ce qui est
économiquement et culturellement impossible, les nations étant
irréductibles les unes aux autres. C'est bien le sens du drame grec et
des autres drames qui attendent à sa suite (portugais, espagnol,
italien, français,...) : les Européens ne sont pas des Allemands, ils
ne peuvent ni ne veulent le devenir.
Ils ne le peuvent pas, car leurs atouts
économiques disparates, leurs spécialisations industrielles, leur
organisation du travail, etc. ne le permettent pas. Ainsi, chacun
constate aujourd'hui que l'austérité punitive infligé à la Grèce ne
permettra pas de la remettre sur les rails d'un développement vertueux,
mais aboutit au contraire à une sorte d'euthanasie économique et
sociale conduisant à des troubles politiques très graves.
Les Européens ne sont pas des Allemands,
mais les Allemands ne veulent pas davantage cesser d'être eux-mêmes, en
devenant les bailleurs de fonds de peuples structurellement moins
compétitifs, qu'une mise sous perfusion financière n'inciterait
nullement à s'aligner sur les canons germaniques de la rigueur
budgétaire. Comment les en blâmer ? D'autant que personne ne doit
oublier que l'économie est devenue l'unique domaine où l'identité
nationale allemande s'est réfugiée, après avoir renoncé à toute
hégémonie politique et militaire dont l'Europe n'a eu que trop à
connaître les effets ces 150 dernières années.
L'impasse de l'euro, virtuelle dès sa
naissance et clairement concrétisée depuis 2 ans atteint donc son apogée
aujourd'hui. Comme je l’avais prévu dans mon discours de mai 2010 à
l’Assemblée Nationale, la Grèce va sortir de l’euro pour pouvoir
regagner en compétitivité, quitte à payer un très lourd tribut dans les
premiers temps de sa liberté retrouvée. C'est le seul moyen,
aujourd'hui comme hier, de pouvoir relancer sa croissance et redonner
une dignité au peuple grec.
Bien évidemment cette sortie de la Grèce
annonce le début de la fin de l’euro car l'effet domino redouté depuis
deux ans sera irrésistible : attaque des marchés, envolée des taux
d'intérêt, crise bancaire dans les pays devant sortir de l'euro avec
des mouvements de « bank run » (les épargnants se ruant dans leur
banque pour placer leurs économies dans des établissements allemands),
éclatement chaotique de la monnaie unique.
Le choix des européens est simple. Soit
ils continuent à nier la crise et appliquent la politique du pire à
l’Espagne, l’Italie, la France, même maquillée d'une politique de
relance qui ne pourra avoir que des effets cosmétiques, provoquant un
tsunami politique et social sur le continent, soit ils préparent le
démontage de l’euro en passant sereinement de la monnaie unique à la
monnaie commune.
Tant que la monnaie unique n'aura pas été
aspirée par la tourmente de l'implosion annoncée, il sera encore temps.
Mais François Hollande, candidat d'un PS tout aussi compromis que
l'UMP dans la « construction » de cette Europe complètement folle,
aura-t-il le courage de tirer la sonnette d'alarme ?
Rien n'est moins sûr ! Alors que les
dirigeants français et européens paraissent danser sur un volcan, les
élections législatives de juin prochain revêtiront une dimension
historique inédite : sombrer ou changer, telle est l'alternative.
Source: